Il fut un temps, sans remonter trop loin.
Il fut un temps, c'était le mien, comme diraient mes filles (bien que je leur réponde que mon temps c'est MAINTENANT!).
Il fut un temps, en 1981, où je passai mon bac de dinosaure : A1, en voie d'extinction à l'époque, largement disparu depuis. Latin, grec, allemand et zéro maths. Du sur-mesure pour votre gazetière.
En ce temps-là, si j'avais voulu, j'aurais passé, quelques semaines après mon bac, le concours de l'Ecole Normale d'Instituteurs (je sais, y en a que ça fait rire !).
En ce temps-là, j'avais momentanément 18 ans, et pour toujours, des certitudes inébranlables. Dont celle de ne jamais être enseignante. Je n'ai donc pas passé le concours. Mais une de mes cousines, celle qui partage mon cher patronyme, l'a fait, elle.
Elle a donc passé ce concours, elle a intégré l'EN et elle y a appris à être maîtresse d'école durant trois ans. Trois ans où elle était payée. Pas grassement, mais de quoi vivre de façon autonome et faire ses études tranquille, à condition d'en prendre pour 10 ans.
Oui, dans l'Education Nationale, c'est de l'engagement, pire qu'à la Légion Etrangère ! Je précise que dans les 10 ans, les 3 ans d'étude sont comptés. Restent 7 années à servir la République, en compensation de ce qu'elle nous a enseigné à enseigner.
C'était le temps où on était instit, avec, en poche : un bac, un concours, trois années de formation, des exams, et à la fin, un diplôme nommé DESI (Diplôme d'Etudes Supérieures d'Instituteur).
L'Etat était généreux, à cette époque.
C'était le temps où j'ai pris du temps à faire autre chose.
Du temps à faire la fac de Droit.
Et du temps à faire des filles (les premiers modèles de la collection se reconnaitront).
Le temps passa : c'est son habitude.
En 1989, mon inébranlable certitude de ne jamais être enseignante s'était étrangement et brutalement métamorphosée en certitude que j'avais une vocation : l'enseignement.
C'était une époque de temps mouvants.
Pour passer le concours de l'agonisante Ecole Normale (elle vivait ses dernières heures, mais on l'ignorait plus ou moins, sauf en milieux informés), il fallait un sésame augmenté : le DEUG (qui existait encore : décidément, tout ce que j'obtiens en matière de diplômes semble frappé de malédiction à court terme). La barrière du concours surmontée, deux années d'études à l'EN nous attendaient, où on estimait utile de nous raconter un peu ce que c'est un enfant, ce que c'est un élève, comment, des fois, ça apprend, et des fois, ça bloque. On employait des grands mots : pédagogie, didactique, apprentissage... Et pendant ce temps-là, pendant ce temps passé à user nos fonds de pantalon ou de jupe sur des bancs d'écoliers montés en graine, on était quand même payés. Oh, pas grassement ! Mais de quoi vivre. Evidemment, on en prenait encore pour 10 ans, de ce temps-là.
Quand on ressortait de ces deux années "Retour à la Communale", après des stages "sur le terrain", des exams et tout un tas de mini-mémoires disciplinaires à écrire et soutenir, on avait un bac, un truc à accrocher au mur qui s'appelait toujours le DESI et un niveau estimé à bac+4.
Tel était mon petit viatique lorsque je suis partie à Floirac faire la classe à des CM1.
L'Etat était un peu moins généreux, il nous payait moins longtemps à apprendre à apprendre, mais ça allait encore. Et on s'appelait toujours des instits.
Il fut un temps, où l'année s'appela 1991.
Et où le mot d'ordre fut : REVALORISATION (du statut d'enseignant).
Cette année là naquit une nouvelle race d'établissements : l'IUFM. Institut Supérieur de Formation des Maîtres.
Institut, ça pose. C'est mieux qu'école.
Universitaire, no comment.
Formation, ben oui, quand même.
Maîtres, le respect s'impose.
Cette fois-ci, la revalorisation est en route, sans erreur possible.
Pour intégrer un lieu si prestigieux, il fallait au moins une licence. Quand même. Le concours laissait tomber le sport, la musique, les arts plastiques et autres joyeusetés présentes aux programmes, mais que, de toute façon, on n'aurait pas le temps s'enseigner correctement.
Comme la licence, ça prouve qu'on est très bon, et que le concours ça montre qu'on est l'élite, les IUFM formeraient donc les futurs maîtres, revalorisés, en une seule année.
Le calcul est simple : c'est toujours du bac+4, mais ça coûte deux fois moins cher à l'Etat, qui ne peut plus se permettre de se montrer si généreux.
Pour ceux qui ne savent pas ce que c'est un enfant et encore moins un élève, pour ceux qui auraient des velléités de songer à la pédagogie ou à la didactique, eh bien il existe un truc écrit quelque part dans le cahier des charges du métier : "la capacité, intrinsèque à la profession, de se former continuellement, de façon personnelle, tout au long de la carrière".
C'est dit. C'est vrai, quoi, si nous, on ne s'auto-forme pas, qui va le faire ?
Les temps changent : c'est leur nature.
Des gens ont calculé que payer des futurs enseignants un an à travailler à mi-temps "sur le (fameux) terrain" et à mi-temps à s'ennuyer à l'IUFM (qui n'a pas su, le malheureux, condenser 3 ans d'enseignement en une 1/2 année, et qui, de fait, n'arrive plus à grand-chose), ça revient cher.
Et payer cher du fonctionnaire, ce n'est plus dans l'air du temps.
La solution est donc toute trouvée : on va REVALORISER (le statut des enseignants).
Le concours, bien entendu, on le garde : il est la PREUVE absolue de la qualité du recrutement.
Le diplôme minimal pour passer le concours, on va le mettre à la hauteur qu'il mérite : le master, allez hop, on n'y va pas avec le dos de la cuillère hein !!!
Bac+5, les instits. Heu, pardon, depuis l'IUFM, ce sont des Professeurs des Ecoles, siouplé !
Après, faut pas zexagérer non plus : on va pas les faire stagner encore une année à apprendre des trucs, doués comme ils le sont déjà !
Non, ils vont directement partir en classe.
Mort des IUFM, qui iront rejoindre l'EN dans une tombe pour vieux fossiles.
Parce que, franchement, prof, c'est un métier facile, qu'on apprend en faisant un master, quel qu'il soit, à la fac. C'est évident, non ?
Et donc, d'ici un à deux ans, on ne paiera plus que des profs à science infuse. Les parents (au mieux) ou les étudiants eux-mêmes, auront payé les études. Généralistes, lesdites études ? Pas grave.
Ils auront du mal sur le terrain, les profs, vous croyez ?
Ben non. Pourquoi ? Ils auront un master. On assure, quand on est revalorisé, non?