DonaldVilliens, heureux habitants de France, si vous mettez en route aujourd'hui votre moteur Google, vous aurez le plaisir de découvrir un joli doodle rendant hommage à Cézanne.
Cela vous rappelle, kékchose...oui... C'est sa Nature morte aux pommes et aux oranges.
Et figurez-vous que ça ne pouvait mieux tomber, ce superbe logo, parce que c'est une ode aux couleurs que je voulais justement écrire aujourd'hui dans ma chère petite Gazette !
Depuis cette nuit, j'ai ça dans la tête : je sais comment je veux vous raconter le bel opéra que j'ai eu l'immense bonheur de voir et écouter hier soir. Avec une palette de couleurs franches et contrastées, comme l'a décidé la mise en scène d'hier soir.
C'était au Pin Galant, où l'on donnait La somnambule, de Bellini.
Au départ, c'est un vaudeville, sans doute, mais où l'on rit peu : c'est avant tout une très romantique histoire d'amouououour...
VERT : le décor, la sène, le fond, les costumes du choeur : robes, chapeaux, manteaux... Beaucoup de vert, pour évoquer la Suisse, la campagne, le printemps... Une histoire qui commence par une liesse villageoise totale : on va célébrer des noces très attendues, entre la "petite chérie du village (sorte de rosière) et son amoureux bien aimé de tous. Du vert donc, mais peut-être un peu trop... Le vert, à force d'être cru, finit par évoquer aussi une sorte d'acidité, voire même de manque d'oxygène, comme dans certains bassins étouffés par les algues. Dans ce village, tout semble aller pour le mieux, mais....
ORANGE : l'opposé du vert entre en scène. Une rousse flamboyante et qui bout de jalousie. Seule avec sa chevelure de flamme et son habit de feu, elle se démarque de la troupe des habitants fondus dans le paysage. Elle enrage, car, ancienne préférée du marié, ce n'est pas elle aujourd'hui l'épousée. Ce petit feu-follet chante sa rage et son dépit... et l'on pressent que le tableau risque de perdre de son éclat bientôt.
BLANC : la pure Amina, mariée à la voix de cristal occupe l'espace vec une grâce et une légèreté aériennes. Arrive l'époux, blanc aussi, et ces deux anges attirent toute la lumière de la scène, blancs tels des lys dans une verte vallée.
VIOLET : théâtrale arrivée d'un étranger, haut, massif, chevelu (la barbe en plus, on aurait cru à un Raspoutine exilé!).
Que vient faire cet imposant homme de la ville au coeur de ce petit village perdu dans les montagnes helvètes ? Son long manteau de voyage qui lui tombe jusqu'aux pieds n'est pas sans rappeler quelle cape infernale. Et ce violet qui tranche, couleur du mystère et du péché... L'équilibre est rompu, on pressent que ce violet va vite faire écho à l"orange, pour créer quelque orage dramatique...
ROUGE : le lit-sofa du déshonneur. Dans la chambre du fameux étranger (dans les faits, le comte du château voisin, depuis longtemps porté disparu, château qui domine le village tout comme ses maîtres dominent d'une autorité naturelle les villageois consentants), Lisa l'orange laissera un peu de sa vertu... et la blanche Amina sera retrouvée endormie. Malheur à elle ! Irréprochable colombe qui n'est arrivée là que parce qu'elle souffre de somnambulisme, maux inconnu du village, qui jettera sur elle une injuste suspiscion de trahison ! Ce n'est plus de l'autel du mariage dont il est question, mais de l'autel du sacrifice de l'innocente !
Rouge de la colère aussi : le marié, blessé en son coeur autant qu'en son amour propre, va arracher la bague du doigt de la pauvre fiancée qui faillit bien en mourir...
NOIR : la blanche colombe est maintenant toute de noir vêtue, telle une macabre robe de mariée en deuil, jusqu'au long voile de tulle qui est à présent couleur de suie.
Triomphe momentané de l'orange : le fiancé trahi, in petto, décide d'épouser Lisa, son ancien amour.
Mais le comte, violet qui révèle et qui sait, va tenter d'expliquer le phénomène.
On peine à croire à cette histoire funambulesque de somnambule...lorsqu'apparaît, sur les remparts, blanche dans sa chemise, l'endormie qui chante encore son amour haut et fort, en équilibre précaire, éclatante dans le BLEU de la nuit.
Redescendue sur la place, aveugle à ce qui l'entoure, elle s'effondre alors, serrant sur son coeur le bouquet de violettes que lui offrit le fiancé il y a quelques heures : bouquet du bonheur du bonheur promis et déjà envolé. Elle chante ces fleurs fanées et son coeur éteint dans une aria qui tient autant de la prière que de l'air de bel canto.
Magnifique tableau, dans la mise en scène d'hier, où, effondrée dans sa chemise ample, avec son imposante perruque de jais, elle évoquait irrésistiblement Madame Butterfly pleurant son amour envolé...
C'était, Lecteurs adorés et sensibles, d'une beauté et d'une émotion à couper le souffle...
Pour vous faire une petite idée, je joins ici précisément cet air célèbre. Tant qu'à faire, j'ai choisi la Callas, hein !
On n'a pas tellement fait mieux depuis, je pense, même si les artistes de l'opéra tchèque nous ont enchantés hier soir, et furent parfaitement à la hauteur de leurs rôles respectifs, soprani éthérés, mezzo vibrante (la mère d'Amina), ténor avec du souffle (c'est pas toujours le cas!) et vraie vraie basse à faire trembler les os !